lunes, 3 de julio de 2006

En francés - Sobre la incertidumbre tras la eleccion presidencial mexicana

Incertitude totale au Mexique après l'élection présidentielle

La Tribune - édition électronique du 03/07/06 à 16:55

Les Mexicains ont voté dimanche pour élire un nouveau président, mais au lendemain du scrutin, ils ne savent toujours pas qui ils ont choisi. En attendant, les deux favoris de cette élection se sont déjà proclamés vainqueurs...


Au lendemain de l'élection présidentielle mexicaine, le nom du gagnant reste un mystère. Le scrutin s'est avéré tellement serré que les deux candidats favoris, Felipe Calderón du PAN (parti sortant conservateur) et Andrés Manuel López Obrador du PRD (parti de gauche) n'ont pas encore pu être départagés.

L'Institut Fédéral Electoral a annoncé dans la nuit de dimanche à lundi qu'il était impossible de déterminer le gagnant de l'élection présidentielle à partir du programme de résultats électoraux préliminaires, car l'écart de voix entre le premier et le deuxième candidats est plus faible que la marge d'erreur de l'estimation. C'est pourquoi Luis Carlos Ugalde, le président de l'institut, a déclaré que son organisme commencera à partir de mercredi le dépouillement des votes district par district, comme le prévoit la loi. Les résultats devraient être connus dimanche 9 juillet au plus tard. Le nouveau président ne prendra ses fonctions que le 1er décembre.


En attendant, le président de l'autorité électorale a demandé aux deux favoris de s'abstenir de se proclamer vainqueurs. Ceux-ci se sont empressés de faire le contraire. "C'est une manière de faire pression", estime le consultant politique Cosme Ornelas. "A partir du moment où l'autorité électorale ne donne pas de résultat, elle laisse la porte ouverte aux deux candidats pour qu'ils essaient de prendre l'avantage. C'est naturel". Il existe un risque si les deux candidats contestent les résultats définitifs, "mais je crois que le problème va se résoudre", considère-t-il. Une fois que l'Institut Fédéral Electoral annonce les résultats, les candidats peuvent présenter un recours au Tribunal Fédéral Electoral.

Les institutions mexicaines sont donc mises à l'épreuve. Faisant un parallèle avec les Etats-Unis, où les élections de 2000 entre George W. Bush et Al Gore n'avaient pas permis de déclarer un gagnant tout de suite, le commentateur politique Lorenzo Meyer explique: "Là-bas, ils ont deux siècles d'expérience démocratique. Nous n'avons que six ans d'expérience". Lors de l'élection présidentielle de 2000, les électeurs mexicains avaient mis fin à plus de 70 ans de domination du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel). "Il y a des années, nous avions la certitude autoritaire, où nous nous demandions pourquoi nous allions voter, puisque nous savions déjà qui allait gagner", déclare Sergio Aguayo, professeur au Collège du Mexique. "De là, nous sommes passés à l'incertitude démocratique, qui est saine mais inquiétante".

Malgré tout, ces élections ont aussi été accompagnées de quelques certitudes. Tout d'abord, quel que soit le nom qui sortira gagnant du scrutin présidentiel, il devra composer avec un congrès sans majorité. En effet, les élections législatives qui se sont aussi déroulées dimanche ont donné 34% au PAN, 29% au PRD et 28% au PRI. Par ailleurs, le recul du PRI a été confirmé sur tous les fronts: présidentiel, législatif et dans les différents Etats de la République où les électeurs devaient choisir maires et gouverneurs. "Si quelque chose est clair dans ces élections, c'est que nous avons désormais une droite et une gauche, et un PRI qui est dans les limbes idéologiques, où eux-mêmes ne savent pas se placer", conclut Sergio Aguayo.

Laurence Pantin, à Mexico

En francés - Sobre la elección presidencial mexicana

Un nouveau président pour faire émerger le Mexique

La Tribune - édition du 03/07/06


Avec un PIB supérieur à ceux du Brésil et de l'Inde, le Mexique devrait figurer parmi les futurs géants économiques de la planète. Mais la croissance stagne, les gains de productivité sont faibles et les investissements étrangers sont rares. Il appartiendra au nouveau président élu ce matin de relever le défi de l'emploi en libéralisant un marché intérieur encore très protégé.

Les Mexicains se réveillent ce matin en connaissant le nom du président qu'ils ont élu hier. Le scrutin, extrêmement serré, opposait le conservateur Felipe Calderón, du PAN (Parti action nationale), le parti sortant, à Andrés Manuel López Obrador, du PRD (Parti de la révolution démocratique), parti de tendance socialiste. Roberto Madrazo, du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), centriste, avait en effet peu de chances de l'emporter.

Si l'élection présidentielle de 2000 avait déjà marqué la transition, avec la fin de la domination sans partage du PRI pendant soixante et onze ans, celle de 2006, après six ans d'apprentissage démocratique, signe désormais un choix de société. "Le Mexique est un pays traditionnellement divisé du point de vue économique. Alors qu'il ne l'était pas politiquement, il se réorganise maintenant sur ce plan", explique Ciro Murayama, économiste à l'Université nationale autonome du Mexique.

Réformes nécessaires

Dans ces conditions, on pouvait penser que les programmes politiques refléteraient ces clivages idéologiques. En fait, la question de la pauvreté, endémique dans le pays, et son corollaire, celle de l'emploi, se sont imposées d'elles-mêmes - Andrés Manuel López Obrador choisissant comme slogan "le bien de tous, surtout des pauvres", tandis que Felipe Calderón s'auto-proclamait "président de l'emploi".

Mais quelles que soient les recettes qui seront mises en place, elles devront atteindre le même objectif : doper la croissance économique. Car si le pays, habitué aux crises économiques, n'en a pas connu depuis 1994, et notamment pas pendant le mandat de Vicente Fox - ce qui est à mettre à son crédit -, il n'empêche, la croissance du PIB a déçu. Elle n'a atteint qu'une moyenne annuelle de 1 % environ sur les six dernières années, alors que le candidat Fox avait promis une croissance de 6 % à 7 % par an. Pis, les perspectives de croissance restent faibles, surtout si certaines réformes ne sont pas menées à bien. "Le Mexique ne pourra pas atteindre une croissance de plus de 4 % sans s'ouvrir aux investissements et améliorer la productivité et la compétitivité", affirme Pablo Cotler, économiste à l'Université ibéro-américaine à Mexico. Or, c'est justement ce type de croissance forte dont le Mexique aurait besoin, non seulement pour réduire les inégalités sociales, mais aussi pour s'intégrer au groupe des "Bric" (Brésil, Russie, Inde et Chine, autrement dit les prochains poids lourds de l'économie mondiale). Avec un PIB de 637 milliards de dollars, supérieur à celui du Brésil (452 milliards) et à celui de l'Inde (510 milliards) en 2004, le Mexique, douzième économie mondiale, pourrait logiquement prétendre en faire partie.

Freins

Qu'est-ce qui empêche donc le Mexique d'accéder à ce club fermé ? De nombreux freins à la croissance, que le nouveau président devra tenter d'éliminer. Le pays se trouve en effet dans une situation paradoxale. D'un côté, il est très ouvert commercialement - puisque c'est l'État ayant signé le plus de traités commerciaux au monde, et en particulier l'accord de libre-échange de 1994 avec les États-Unis et le Canada. Mais, de l'autre, il reste protégé sur son marché intérieur, où monopoles d'État (tels l'EDF mexicaine et Petróleos de México-Pemex) et monopoles privés (comme Telmex, l'empire des télécoms du multimillionnaire Carlos Slim) dictent les prix. Et le phénomène a la vie dure. Par exemple, même si une relative concurrence s'est maintenant installée dans le secteur financier, les Mexicains payent encore très cher leurs services bancaires.

Autre obstacle : des gains de productivité très faibles (seulement quelques décimales sur les six dernières années) et qui pèsent sur la compétitivité des produits "made in Mexico" à l'international. Ainsi, en 2003, la Chine a ravi au Mexique son statut de deuxième fournisseur des États-Unis. Une Chine qui, en outre, voit les investissements directs étrangers affluer tandis que le Mexique peine à en attirer. De quoi mettre à mal une stratégie économique fondée précisément sur les exportations, notamment grâce aux "maquiladoras", ces usines d'assemblage situées du côté mexicain du rio Grande. De quoi pénaliser sérieusement la création d'emplois également. Et pourtant, le Mexique en a un besoin criant. Plus d'un million de Mexicains arrivent sur le marché du travail tous les ans, alors que l'économie ne génère que 180.000 postes déclarés et 240.000 dans le secteur informel. Pas étonnant que l'émigration soit une solution adoptée par près d'un demi-million de Mexicains chaque année... Pourtant, insistait le candidat de gauche : "Passer la frontière ne doit plus être un destin."

Alliances politiques

Pour rompre avec cette fatalité, le prochain président devra cependant composer avec un Congrès divisé à égalité entre les trois principales forces politiques, s'il veut faire passer des réformes. Pour cela, il aura besoin d'une habileté politique qui a tant fait défaut à Vicente Fox. Et, selon Ciro Murayama, c'est là d'ailleurs que le PRI, même en perte de vitesse actuellement, pourrait retrouver un rôle central, dans un jeu d'alliances devenu indispensable. La classe politique mexicaine sera-t-elle à la hauteur de ce défi ? Si elle ne l'est pas, la société civile, qui a gagné en maturité ces six dernières années, pourrait bien faire entendre sa voix. "Au-delà de l'élection, l'enjeu des six prochaines années consistera à démontrer que nous avons, en tant que société, la capacité d'obliger les partis et le gouvernement à être plus efficaces, conclut Sergio Aguayo, professeur au Collège du Mexique. C'est là le véritable sens de la lutte démocratique."

Laurence Pantin, à Mexico, et Lysiane J. Baudu, envoyée spéciale

En francés - Sobre los limites del modelo maquilador

Les limites du modèle "maquiladoras"

La Tribune - édition du 03/07/06

Les usines d'assemblage tournées vers l'exportation n'ont pas profité à l'industrie nationale. Et la demande intérieure n'est pas assez forte pour prendre le relais.


L'âge d'or des "maquiladoras" touche à sa fin. Lors de la récession américaine de 2001-2003, beaucoup de ces usines d'assemblage installées du côté mexicain de la frontière avec les États-Unis pour profiter de la main-d'oeuvre bon marché avaient plié bagage destination l'Amérique centrale ou l'Asie. Bien que l'activité ait repris une fois le marasme passé, le pays ne peut plus compter sur ce secteur pour créer les emplois dont il a tant besoin. "Ce modèle de développement est épuisé", estime l'économiste Enrique Dussel Peters. Le Mexique ne peut concurrencer des pays comme la Chine sur des produits dont la fabrication repose sur les bas salaires. Certaines villes de province ont donc tenté de se spécialiser dans des produits de plus haute valeur ajoutée, comme c'est le cas à Guadalajara dans le domaine des logiciels informatiques. Mais les exemples de ce type restent des exceptions.

À l'heure du bilan, il semblerait que le Mexique n'ait pas su profiter de la présence des maquiladoras. Alors que celles-ci sont responsables de la hausse des exportations du pays, il ne faut pas oublier que "ces exportations se sont accompagnées d'une forte croissance des importations", selon Juan Carlos Moreno, chercheur à la commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes de l'ONU.

Hausse des importations de composants

L'industrie nationale mexicaine n'a pas pu s'intégrer aux processus productifs des maquiladoras. "Le "made in Mexico” ne représente qu'une infime partie du produit fini qui sort d'une maquiladora", explique Dussel Peters. Rien d'étonnant si l'on observe les avantages offerts aux investisseurs étrangers (exemption du paiement de la TVA, des impôts sur le revenu et des droits de douane pour l'importation de produits de fabrication). Si l'offre de ces privilèges dans le but d'attirer des capitaux était justifiée en 1965, à la naissance du programme de maquiladoras, à la longue, elle explique que l'industrie nationale - qui, elle, doit payer ces charges - ne puisse concurrencer les prix de composants importés et devenir fournisseur des maquiladoras.

Dussel Peters évoque la Chine comme modèle. "Contrairement au Mexique, la Chine a mis en oeuvre de vastes programmes parallèles", offrant des avantages fiscaux aux industries nationales de certains secteurs clés qui investissent en recherche et développement. Pendant ce temps, le Mexique optait pour une politique de retrait de l'État : "La meilleure politique industrielle, c'est de n'en avoir aucune", clamait Herminio Blanco, un économiste plusieurs fois ministre entre 1985 et 2000. Le résultat de cette vision a été une véritable crise du secteur productif. Entre 1988 et 2005, la contribution de la manufacture nationale dans le PIB a baissé de 6 points et, de 2000 à 2005, ce secteur a perdu 16 % de ses emplois.

Finalement, le prochain gouvernement devra essayer de "trouver un autre moteur de développement que le marché externe", suggère l'économiste Ciro Murayama. "L'économie mexicaine ne peut s'en sortir sans le marché intérieur", conclut Juan Carlos Moreno. Or, dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, il reste encore beaucoup à faire pour que la consommation interne puisse un jour soutenir le développement du pays.

Laurence Pantin, à Mexico